Être rationnel, ce n'est pas se couper de ses émotions. Le cerveau qui pense, qui calcule, qui décide n'est pas autre chose que celui qui rit, qui pleure, qui aime, qui éprouve du plaisir et du déplaisir. Le coeur a ses raisons que la raison... est loin d'ignorer. Contre le vieux dualisme cartésien et contre tous ceux qui voudraient réduire le fonctionnement de l'esprit humain à de froids calculs dignes d'un super ordinateur, c'est en tout cas ce que révèlent les acquis récents de la neurologie : l'absence d'émotions et de sentiments empêche d'être vraiment rationnel. Antonio R. Damasio est professeur de psychologie, de neurosciences et de neurologie. Il est directeur de l'Institut pour l'étude neurologique de l'émotion, de la décision et de la créativité, à l'Université de Californie du Sud. Il est également l'auteur de Spinoza avait raison et du Sentiment même de soi.
MON AVIS 
Quand j’ai refermé L’erreur de Descartes d’Antonio Damasio, j’ai ressenti ce frisson : comment un simple accident, celui de Phineas Gage, peut-il bouleverser toute l’idée que je me fais de moi, et peut-être du corps humain ? C’est à travers ce cas célèbre, celui de cet ouvrier victime d’un grave traumatisme crânien au XIXe siècle, que Damasio introduit une idée fondamentale : sans émotion, l’intelligence devient une coquille vide.
Il démontre que nos capacités de jugement, de décision, d’adaptation, sont intimement liées à notre ressenti corporel. Il appelle cela les "marqueurs somatiques", ces signaux venus du corps – rythme cardiaque, respiration, tensions musculaires – qui orientent nos choix sans que nous en ayons toujours conscience. Ces marqueurs alimentent l’intuition, cette lumière qui éclaire le chemin quand la raison seule reste dans l’ombre.
Cette vision réunit ce que la pensée occidentale a souvent séparé : le corps et l’esprit. Damasio conteste ainsi l’héritage de Descartes, pour qui la pensée pouvait être détachée du corps, logée quelque part dans une glande ou dans une abstraction.
Ce livre m’a paru d’autant plus riche qu’il résonne profondément avec la pratique de la sophrologie existentielle. Celle-ci propose, entre autres, de revenir au corps à travers l’intéroception – cette capacité à percevoir ses rythmes internes : souffle, battements, tensions, chaleur. En cultivant cette présence à soi, on affine aussi sa relation au monde et aux autres. Cela stimule l’intuition, permet de mieux comprendre ses émotions, de retrouver de la clarté là où la confusion régnait.
Ce que Damasio décrit scientifiquement – le passage de la sensation à l’émotion, de l’émotion au sentiment, et du sentiment au sentiment d’existence – est un chemin qu’on peut vivre concrètement. Il est possible de se sentir enfermé dans un sentiment d’existence douloureux, comme une perception floue ou figée de soi-même. Mais ce n’est pas figé. Il existe d’autres chemins. En cela, la sophrologie, dans son approche existentielle, peut être un espace thérapeutique qui aide à retrouver cette mobilité intérieure.
Inversement, un choc émotionnel ou un traumatisme peut nous coincer dans des sensations et sentiments qui tournent en boucle : honte, colère, peur. Comprendre ce lien entre le corps et l’esprit permet alors d’envisager une voie de transformation, parfois lente, mais toujours humaine.
Damasio parle aussi de la peau comme une frontière sensible, une "super-membrane" qui capte le monde et nous donne une forme d’unité. Là encore, cela évoque les pratiques de lecture corporelle qui invitent à explorer les contours de son corps, à ressentir l’espace que l’on occupe, à se reconnecter à son enveloppe charnelle pour mieux habiter sa vie.
L’erreur de Descartes est un ouvrage passionnant, exigeant parfois mais profondément accessible dans son message. Il nous aide à comprendre que penser, c’est aussi sentir, et que notre raison n’est jamais aussi fine que lorsqu’elle s’appuie sur notre humanité la plus organique.
Ce livre est un hommage vibrant à notre capacité à reconstruire un sentiment d’existence, enraciné dans la peau, le souffle, la sensation – bien avant les mots, les pensées ou les idéologies. Une lecture précieuse, pour celles et ceux qui cherchent à mieux se comprendre… ou tout simplement à mieux exister.
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